à mots perdus

Lettres Le Devoir / La Presse




On arrive tous sans mode d'emploi
Et on va tous titubant devant la nuit des temps
On a tous un cadavre ou deux dans nos garde-robes
Un ange ou des millions dans la paume de nos mains
On est tous des enfants blessés des assoiffés des junkies
Des possédés des tyrans des funambules
Tous des artistes
Et on est tous plus ou moins terroristes

C'est un soir poreux d'avril
Et j'avance immortel dans les rues déliées
Sous l'immense coupole criblée d'étoiles
Solitaire parmi les esseulés
La foule passe à travers moi
Et les hommes et les femmes et les arbres
D'un vert tendre infini
Et ce zeste de lune épinglé tout en haut
C'est un soir évadé
Un peu plus que les autres
Un grand soir bleu qui coule
Vers le fleuve en bas qui tangue
Et moi qui penche toujours un peu
C'est un soir échappé
Parmi des milliers
Dans la grande évaporation du monde
Comme la vie est ronde
Dans nos regards culbutants
Au bout du long hiver
Je nous vois virevoltant comme des oiseaux
Avec nos ailes invisibles
Pleines d'envolées toniques
Nous
M'entendez-vous
Nous
Dans mes éclaboussures
J'éclate en mille mots qui pleurent
Qui rient qui brûlent
Je passe à travers vous
Au milieu de nulle part et au centre de tout
Je suis la rue le bruit le sang
Je coule dans les artères
De nos drôles de destins
Destin :
Il était une fois vous moi nous
Un matin corbillard
Et je suis toujours là
Aujourd'hui et à jamais
En ces mots que je nous ai tricotés
Pour un de ces soirs frileux
Si vous saviez combien je vous aime
Dans le secret de ces mots
Enfermé que je suis
Dans le silence qui nous lie
C'est un soir poreux d'avril
Comme au temps où je suis né
Dans une vieille nuit des années 50
Ma mère empêtrée dans ses douleurs
Il faisait noir très noir
C'était la nuit
C'est encore la nuit
Et C'EST un soir frileux
Mais le bruit arrive du fond des autres villes
Et le jour s'allonge un peu plus chaque instant
Et ça sent la terre
Et la foule passe à travers nous
Et les anges se faufilent
Et ça entre à pleines portes par tous les ponts
Et les hommes et les femmes et les arbres
D'un vert tendre infini
Et j'avance éternel dans les rues qui s'allument
Allégé
Né à nouveau à travers vous
Princes de ce temps



Je n'ai jamais véritablement écrit
Que des peintures à numéro
Des toiles de pacotille
À suspendre dans les cieux sans vie
De mes pensées tordues
Je n'ai jamais écrit vraiment
Que pour orner la devanture
Égaler la galerie
Jamais la dépasser / No trespassing
Je n'ai jamais véritablement écrit
Mais là j'avoue
Dans le sillon informe qui se creuse
Dans ce creux qui me prend
À coups de jours de mois d'agendas
Et de petites morts qui s'empilent
J'écris comme je plonge
Le rêve dans ses derniers retranchements
Le coeur vaguement hors champ parfois
Mais
Ce n'est pas le gouffre anticipé
Ni même le purgatoire
Ce serait même une croquée de nirvana
Avec du miel qui dégouline
Je n'ai jamais véritablement écrit
Mais là vraiment
Dans le nouveau décor
De ce nouveau millénaire
Des ossements plein le siècle décédé
Subconscient tapissé
Qui régurgite en ses rêves jouissifs
Des fragments de fausse identité
Là vraiment
J'écris comme je plonge
Une bouée pour la traversée
Eau glaciale et courants
Mais bon
J'écris avec des mots imbibés
Coulés dans la SOLIDARITUDE
Et non plus tristement asséché
Suspendu à vos lèvres impuissantes
Mais avec des mots ailés
Des mots dotés d'amortisseurs
Permettant d'amorcer tout doucement
La descente


I used to be a Mister Cool
Fâché moi? Ben voyons donc
Allez viens
Step on the carpet du petit chien chien
Essuie tes pieds deux fois plutôt qu'une
Et vois mon joli poil follet
Reprendre gentiment sa forme
I used to be a Mister Cool
De l'eau sucrée sur bâtonnet
Bleu blanc rouge c'est au choix
Vert lime aussi si vous voulez
Lick me all over
Lick me jusqu'au bâton
Jusqu'à la dernière goutte
Et même
Grignote un peu le doux bois
I used to be a Mister Cool
Le meilleur popsicle au monde
Le plus vendu le mieux moulé
Deux fois rien à produire
Et des milliards de copies all over America
Mais un beau jour
J'ai fondu jusqu'à la flaque
Petit lac déversé effondré tanné écoeuré déchaîné
Ô le vilain trottoir tout gommé


Les grillons jacassent sur un reste de pleine lune
À grands coups de spatule les nuages se disloquent
Une traînée de poudre rose
Annonce un jour plus beau encore
Je suis au bord de l'enfantement
Après longtemps d'errance et de macération
Je me consume enfin à ma pleine grandeur
L'oiseau du paradis remonte lentement ma rivière
Comme j'aime ainsi entendre mon battement
Collé au ventre du bonheur


L’enfant était seul à mourir. Des années durant. Non, des siècles. Des vêtements à manches longues pour cacher ses bras trop maigres. Des secrets plein les tiroirs. Des tiroirs que personne ne regardait. L’enfant souriait beaucoup. Faisait semblant d’être heureux. Faisait semblant. Ne savait pas être. Mais sourire, il avait appris. Être gentil. Récolter des gentillesses. Des bouts de tendresse. Pour se protéger de lui-même. Des quolibets qui n’étaient jamais loin. De la terreur qui rôdait. L’enfant souriait mais ne pleurait jamais. Les petits garçons, en ce temps-là, ne pleuraient pas. L’enfant voulait être un vrai garçon. Faisait tout pour le devenir. Parce que les vrais garçons étaient le rêve du monde qui l’entourait. Puis un beau matin, l’enfant a craqué. Pleuré des rivières infinies. Des océans complets. Et je l’ai consolé. Cajolé. Aimé. Et l’enfant a souri. Pour la première fois je crois, l’enfant a souri. 



Dessins au pastel réalisés entre 1990 et aujourd'hui.
Poèmes écrits (pour la plupart) à l'été 2003.
Peintures à l'acrylique réalisées à 
l'École des arts et métiers d'art de Mont-Laurier, été 2009.
© robert campeau